Les adhérents de La Locale ont reçu le 2 décembre dernier Claire Fita*, conseillère régionale, présidente de la commission des finances, pour débattre d’économie du territoire. Une après-midi d’échanges où les entrepreneurs et l’élue ont constaté combien sont méconnues les compétences des collectivités tout comme les besoins et les aspirations des petites structures. Les uns et les autres ne parlaient pas toujours de la même chose… mais à bâton rompu !
Comment vous a été dévolue la casquette finances, entreprise, travail et innovation ?
Parce que ma formation et mon métier s’articulent autour des finances. J’ai été gestionnaire comptable. A la Région, personne n’en voulait vraiment (sourire)… Les finances sont un domaine qui permet d’avoir pourtantune transversalité immédiate, d’appréhender tous les sujets.
Quelle est votre définition de l’économie de proximité ?
Je ne vais pas être très originale, j’adhère à la définition qui en est faite dans la majorité des études. C’est un mode organisationnel qui privilégie le relationnel direct avec le consommateur, entre producteurs ou entre commerçants avec une valeur de bien-être collectif et cette volonté d’ancrage local. C’est peut-être une définition parcellaire.
Vous avez un exemple concret notamment à Graulhet dont vous êtes conseillère municipale ?
Une boutique école vient d’être créée en novembre dans le cadre de la politique de la ville, une compétence devenue communautaire. Cette boutique est destinée à élaborer son projet professionnel, avec accompagnement, c’est un parcours qui est offert. C’est anecdotique mais très fort parce qu’on à la convergence de l’emploi local, de l’insertion, de l’économie.
Dans la réalité les gens ne sont pas nécessairement en lien sur un même territoire. Il y a comme décalage entre la réalité du terrain et la définition. Comment est-ce que ça peut converger ?
Votre initiative (ndlr : création de La Locale) est un exemple. Je connais bien, en tant que fille de commerçants, cet état d’esprit qui empêche de penser la complémentarité parce qu’on est mangé par son travail, parce qu’on est totalement dans son activité. Alors c’est plus facile de se regrouper entre commerçants. Et c’est sous forme associative que le regroupement, la mutualisation et la convergence peuvent se faire effectivement. Ici, avec votre collectif, vous êtes sur une diversité de métiers, et il me semble que c’est vraiment la direction intéressante à prendre pour arriver à caler la définition à la réalité de l’économie de proximité.
Les entreprises de tout le territoire sont les principaux financeurs des ressources de la Région. Pour autant, le soutien aux entreprises semble être accaparé par trois filières en particulier, et par les métropoles où elles sont implantées. La Région favorise-t-elle vraiment l’emploi en faisant un tel choix ?
Je ne partage pas cette analyse. Ces filières ne sont pas que métropolitaines. L’aérospatiale, oui, mais pas l’aéronautique, ni le tourisme ou l’agro-alimentaire qui sont les trois principaux employeurs du territoire. Certes, il y a un pôle d’attractivité métropolitain mais il irrigue l’ensemble du territoire. L’aéronautique est une formidable chance pour tous nos territoires, c’est une locomotive qui crée. Et cette filière est présente dans le Rabastinois. Le tourisme aide au développement de tout le territoire.
Au-delà des trois filières incontournables, la Région a d’emblée mis l’accent sur la structuration du tissu économique. Cela concerne à 98% des TPE-PME particulièrement implantées dans les territoires ruraux. Nous avons développé des outils et dispositifs d’aide aux TPE-PME avec pour objectif plus de simplicité car les entrepreneurs n’ont pas nécessairement l’ingénierie pour s’en occuper. Ainsi a été créé les PASS qui permet d’obtenir une aide de 50% en 40 jours maximum pour des projets jusqu’à 40 000 € concernant l’achat de machine, la recherche, la transition numérique, l’export ou les ressources humaines. Vraiment nous faisons l’effort de la simplicité et de la réactivité.
Pour renforcer cela, sur la proximité, on met en place des antennes Région, des Maisons de la Région, pour que l‘usager ait réponse à toutes ces questions. Ce sera effectif au premier semestre 2019 dans le Tarn. Avant nous avions en Midi-Pyrénées Madeeli pour l’accompagnement des entreprises (Regards étonnés des Localiers). Ah ! Vous ne connaissiez pas… ne retenez pas ce nom, maintenant c’est AD’OCC. C’est l’Agence de Développement économique de la région OCCitanie. Avec elle, nous redéployons dans les départements un accompagnement plus proche des territoires. Vous trouverez AD’OCC dans la Maison de la Région à Albi, à côté du département. A Castres dans les locaux de la CCI. Emilie Farjounel sera votre interlocutrice.
Qu’est-ce que la Région peut proposer pour faciliter le démarrage de tiers lieu, tel que celui du Pré Vert, plutôt que de soutenir des sites déjà lancés ?
Il existe déjà beaucoup de tiers lieux en région, avec un modèle économique fragile. Ceux qui fonctionnent ne marchent pas.
Nous avons pourtant un contre-exemple à Couffouleux ! Nous avons La Fourmilière, en association, et qui marche ! La difficulté, c’est la trésorerie de départ, l’investissement trop faible, c’est ça qui handicape le fonctionnement par la suite !
Dans un premier temps nous avons voulu consolider les structures existantes et créé un réseau avec un soutien financier et une labellisation, pour des tiers lieux ayant un an d’antériorité. Un nouvel appel à projet va être lancé avec un dispositif pensé en investissement et en fonctionnement. Chaque structure sera libre de faire ce qu’elle souhaite, adaptée aux besoins locaux mais on a un gros point de vigilance là-dessus : il faut qu’il y ait une complémentarité sur le territoire. Les initiatives ne doivent pas être autonomes, il faut une cohérence communautaire, départementale. Si on aide les projets, on met plus qu’en danger les tiers-lieux existants qui sont déjà fragiles. (Brouhaha dans la salle) Je ne veux pas dire que de nouveaux tiers lieux ne doivent pas apparaître… Je ne maitrise pas en fait la question des tiers lieux. Je sais que trois tiers lieux ont été labélisés dans le Tarn.
Ceux sont des tiers lieux créés par des entreprises et ils sont en ville !
La volonté de la Région c’est d’avoir une vraie animation en échange de la subvention : accompagnement des adhérents au tiers lieu, relais des aides de l’accompagnement régional et garantie d’une expertise économique sur le territoire.
Les usagers du TER sont de plus en plus nombreux à Rabastens et Couffouleux. Or la capacité des trains n’évolue pas, tandis que la gare est désormais fermée aux heures de fréquentation. Que se passe-t-il ?
La Région finance le TER, la SNCF exploite et rend le service. Le modèle de la SNCF doit être maintenu. La mise en concurrence est exclue, parce que certaines lignes ne seront jamais rentables et ne trouveront pas d’opérateur. L’Occitanie est la seule région à avoir signé avec la SNCF seulement. Mais la Région n’est pas satisfaite du service : la SNCF mène sur notre territoire une politique nationale. Nous avons conscience de la réduction du nombre d’heures d’ouverture des guichets, et nous insistons pour qu’elle se fasse dans la concertation. Notre seul poids c’est l’exigence de négociations… (ndlr : Les Localiers ont rappelé qu’il n’y en a pas eu pour la gare de Couffouleux et Claire Fita de raconter effectivement sa surprise quand Olivier Damez, maire de Couffouleux l’a alertée. Le dossier est en cours entre la Région et la SNCF).
Sinon, nous achetons du matériel, ce n’est pourtant pas notre compétence et ça ne rentre pas dans notre patrimoine, mais c’est la seule condition pour que les usagers aient du confort. Pour les cadences, il s’agit d’une impossibilité de croisement sur la ligne de Rabastens. Pour les trains inadaptés, nous sommes très friands d’avoir des courriers avec le numéro de train, l’heure et la gare de départ : cela nous permet de négocier concrètement lors de la réunion hebdomadaire avec la SNCF. Faites un mel d’alertes très précises à Carole Delga, mettez-moi en copie.
Première région bio de France, l’Occitanie industrialise la filière. Ce segment de l’agriculture ne va-t-il pas y perdre son âme en accueillant des agriculteurs davantage contraints que convaincus ou en étant labélisé via des cahiers des charges allégés et douteux ?
Ah vous croyez ? Vous avez cette vision ? Le cahier des charges c’est l’Europe qui le rédige et la Région s’inscrira toujours dans ce cadre. J’entends bien qu’il y a des conversions contraintes ou subies. On me le dit à Biocybèle (ndlr : foire organisée annuellement en juin à Graulhet par Nature et Progrès). Tant mieux ! La conversion, elle est positive ! Entre le conventionnel et le bio la démarche est bonne, la direction est bonne. Ceux qui se retirent de la labellisation bio, mais tant mieux ! Qu’ils gardent cette identité propre, ils sont en avance. Ils ont gagné puisque la progression est dans ce sens-là désormais.
Produire, transformer et consommer en local semble être plus résilient. Comment les institutions peuvent-elles interagir pour que la restauration collective entre dans cette économie de proximité de l’école maternelle au lycée ?
Je vais revenir au contexte. Nous sommes la région où les agriculteurs perçoivent les revenus le plus faibles en conventionnel. Nous leur versons 260 M d’euros d’ICHN (Indemnités compensatoires de handicaps naturels). L’une des pistes pour améliorer la condition des agriculteurs c’est le bio. La restauration collective constitue ensuite un levier important, c’est un débouché. Nous avons donc réinternalisé cette compétence, c’est en régie maintenant, on maîtrise.
Ensuite, la Région a mis en place le dispositif « Occitanie dans mon assiette ». Il faut que nous arrivions d’ici la fin du mandat, en 2020, à ce qu’il y ait 40% de produits locaux, dont la moitié en bio, dans tous les lycées. On compte 25 millions de repas par an dans les lycées. Le dispositif a débuté avec des établissements volontaires, ils étaient six dans le Tarn. Nous les avons outillés pour qu’ils puissent avoir la capacité d’extraire ce qui est local via une plateforme numérique. Il y a aussi une assistance à maîtrise d’ouvrage par le biais de la Chambre d’agriculture dans le Tarn. Pour les collèges, il y a eu des inventaires des initiatives qui pourraient être décuplées dans toute la région, mais il n’y a pas de formalisation ni d’objectifs.
Et pour les écoles donc ? Rabastens compte la plus grande école du Tarn, sans cuisine centrale. Comment s’articuler ? Alors qu’il y a un réseau de maraîchage important ici.
A Rabastens, la chance c’est que c’est devenu communautaire. Il peut y avoir une réflexion d’ensemble sur le Rabastinois. L’agglomération est naissante, il va falloir trouver un consensus. La Région accompagnera la construction d’une cantine centrale évidemment si un tel projet se dessinait.
Déjà l’agglomération s’est engagée dans le principe du local, notamment en soutenant Terra Alter, une coopérative de producteurs locaux qui construit son outil de transformation à Montans. L’agglo achètera les légumes transformés de Terra Alter pour la restauration collective. Toutes ces réflexions et ces outils valent aussi pour les maisons de retraite.
Le budget culture de la Région a augmenté de 12% en 2018. Si ce n’est sur Notre Dame du Bourg, le soutien aux festivals, aux créations de spectacle, au patrimoine etc. ne s’est pas fait ressentir sur notre territoire. Pourquoi ?
Les projets déposés sur le Rabastinois ont été soutenus. Aucun dossier n’a été écarté. Sur la culture, les dispositifs n’ont pas changé, nous avons harmonisé par le haut justement. On est sur des accompagnements de manifestation à rayonnement régional. Mais on soutient la création ou les festivals. C’est un comité d’experts qui se réunit afin d’évaluer la qualité artistique des projets, la décision ne relève pas que de nos services.
C’est compliqué, c’est une aventure de se lancer dans les subventions. Tout ça s’est fait pour qu’on n’en demande pas non ?
De toute façon l’argent public c’est toujours compliqué. Et le premier interlocuteur c’est votre commune, elle a la vision globale de ce qui s’organise sur le territoire. Ensuite il y a un directeur dédié à l’agglomération. L’Etat intervient, le département aussi. La culture est le domaine le plus partagé avec le sport et le tourisme. Il y a une conférence d’action publique entre les collectivités pour organiser les interventions dans ces domaines afin qu’il y ait une complémentarité. Il n’y a pas encore de portail parce que les intercommunalités n’ont pas encore tout mûri, mais quoiqu’il en soit le parcours de soutien débute à l’échelle de la commune.
Cela signifie donc que si nous n’avons pas d’appui de notre mairie par exemple, nous n’aurons pas de subvention de la Région ?
L’Eté de Vaour n’est plus soutenu par le département, mais la Région soutient toujours. Mais c’est sûr que le bloc communal (ndlr : commune + agglomération) est le premier décideur, c’est le lien le plus fort entre le projet et les subventions.
Le Pré Vert, où nous vous accueillons aujourd’hui, est une bâtisse posée en centre de bourg depuis le milieu du 18è siècle. Ce site était à l’abandon. Pourquoi la réhabilitation des maisons centenaires en cœur de village n’est pas prise en compte ? De fait, les centres bourgs ne sont plus habités, ce qui n’aide pas le commerce tandis que les nouvelles constructions participent du grignotage des terres, de la production de matériaux peu vertueux et d’émissions polluantes.
C’est une priorité pour nous la réhabilitation. N’empêche, nous sommes dans un pays où la propriété privée règne. La puissance publique ne peut pas intervenir à la place du privé. Mais il peut y avoir un programme local de l’habitat, très volontariste comme à Tarn et Dadou, le plus pointu avec celui de Figeac. Ce programme a été ralenti avec la fusion car le Rabastinois n’avait pas cette culture. Mais ça va venir. La Région a créé un dispositif spécifique, encore un dispositif…, « centre bourg ». On cible les communes comme Rabastens, parce qu’il y a un vrai bassin de vie autour et une qualité patrimoniale. Mais il faut que la commune candidate. Rabastens n’a pas candidaté. L’agglomération a accepté de coordonner les candidatures, donc il y a une ingénierie communautaire pour répondre à ce dispositif centre bourg. Qui se pense globalement en termes d’habitat, d’espace public, de commerce : on finance 50% de l’étude, puis tous les travaux qui peuvent être faits. Si la commune candidate, la Région peut donc soutenir entre autres la rénovation du Pré Vert.
* Claire Fita, 42 ans, a été élue en 2008 et réélue en 2015 au Conseil régional d’Occitanie pour le groupe socialiste républicain et citoyen. Elle est membre de la commission permanente, présidente de la commission des finances, membre de la commission international, Europe, coopération au développement, évaluation et prospective. Claire Fita est également conseillère municipale de Graulhet, en charge des droits de la femme. Depuis 2002 elle est militante au PS dont elle est secrétaire nationale à l’entreprise, au travail et à l’innovation.